Simenon (et) l'Ostrogoth
Dans ses Dictées, mon père raconte : « Je décide de faire construire un bateau, un vrai, capable d'affronter [la mer]. Il n'est plus question d'un jouet de plaisance dont on suit de loin l'évolution des voiles blanches, encore moins de ces petits engins à moteur puissant, traçant un sillage d'écume, avec lesquels on se grise de vitesse. Ces bateaux-là ne caressent pas la mer, mais semblent la déchirer rageusement. Ce dont je rêve, ce que je veux, c'est un bateau robuste, à l'air pataud, comme ceux des pêcheurs du Nord [...] et, parce qu'il a la rudesse de notre lointain ancêtre, je le baptise l'Ostrogoth. »
En expliquant ainsi le nom du bateau qui allait devenir le berceau de Maigret, il nous révèle aussi son dédain pour le superficiel et son goût pour l'authentique. Quant à Simenon lui-même, souvent pataud et rude dans un parisianisme littéraire dont il rejetait les codes, il y fit très longtemps, lui aussi, figure d'ostrogoth.
John Sinenon