Socrate est le premier des philosophes. Faisant du
langage l'unique fondement de sa logique et de sa
logique l'unique fondement de sa doctrine, il
développe une nouvelle conception de la vertu,
de la connaissance, de l'âme, et de sa destinée
future.
Mais en même temps, tous ses familiers en témoignent,
Socrate était un sorcier. Comme le chaman
dont Lévi-Strauss décrit l'efficacité symbolique, sa parole était
guérisseuse. «Comme il nous a guéris !» s'émerveille Phédon.
Suivant pas à pas le développement de l'argumentation socratique,
cet essai tente de répondre à trois questions. I) De quel mal l'âme
souffre-t-elle dont la philosophie puisse espérer la guérir ?
2) Comment la logique peut-elle cicatriser la blessure
de la négativité et remédier à l'originaire mélancolie ? 3) Socrate
croyait-il à la vérité de ce qu'il enseignait ? En ayant placé tous ses
espoirs dans sa doctrine de la vérité, n'avait-il pas fait de cette
doctrine qu'une logique de l'espérance ?
Nietzsche accusait Socrate d'avoir inventé la logique comme un
analgésique pour assoupir l'esprit tragique des Grecs. Mais en
décrivant l'échec comme originaire et le malheur comme irrémédiable
la dernière philosophie de Platon ne fait-elle pas de la tragédie
l'expérience même de la pensée ?
S'il était vrai que Socrate eût été quelque chaman, la philosophie
pourrait-elle n'avoir été que la longue psychanalyse de l'Occident ?