Soudain un bloc d'abîme, Sade
On n'insistera jamais assez sur l'extraordinaire enjeu de la lecture de Sade.
Ce « bloc d'abîme » qu'Annie Le Brun a vu apparaître en approchant le monde de Sade, le temps qui passe le rend plus évident, dévoilant au coeur de la pensée occidentale la ténèbre infinie qui la fonde.
La « crise de l'espèce la plus grave » que le surréalisme rêvait de provoquer dans la conscience européenne, c'est en fait Sade qui l'a déclenchée, voilà plus de deux siècles. Que la plupart se soient efforcés jusqu'ici de ne pas le voir est dans l'ordre des choses, puisque c'est cet ordre des choses que Sade met fondamentalement en cause. Mais dès lors que ce même ordre tend à se manifester comme le désordre des choses, ainsi que nous le voyons de plus en plus, pouvons-nous continuer de faire l'impasse sur la seule démarche qui ne paraisse pas anachronique en pareil cas ? Aujourd'hui que l'humanisme est utilisé pour couvrir l'inhumanité des hommes, que les droits de l'homme servent à mépriser le droit des gens, que la raison s'épuise à ne pas reconnaître les monstres qu'elle a engendrés, ne sommes-nous pas tenus de nous demander, longtemps après Sade, ce qui tient encore ?