Gustave Lefrançais (1826-1901) est des grands acteurs-auteurs des traditions
sociales et politiques qui auront été marginalisés puis ignorés par
l'histoire officielle française ; et, avec eux, une conscience libre et véridique
de l'expérience collective et de ses tragédies. Tout au long de sa vie, Lefrançais
accompagne les luttes pour une révolution (qui ne peut plus être le
modèle écran de 1789, avec ses emphases idéales et son centralisme autoritaire)
et pour une auto-organisation fédérative des communautés (le communalisme)
dans une «république sociale». Il le fait en proscrit (instituteur
interdit d'enseignement dans les années 1840, emprisonné à diverses reprises
puis éxilé avant même le coup d'État de 1851, de nouveau en 1870 par la
république de Thiers, enfin condamné à mort par contumace après la Commune).
Et il le fait en compagnon des mouvances socialistes et républicaines,
avec leurs clivages et leurs contradictions, mais dans le sein d'une effervescence
globale de la société qui rend dérisoire et trompeur le particularisme
dont l'oubli, la mémoire sélective et institutionnelle ont affecté le rôle des
«révolutionnaires». Lefrançais est partie prenante de tendances contradictoires
mais majeures, agissantes et partagées. Ces Souvenirs, pour beaucoup
écrits au fur et à mesure, forment un document source, non seulement sur la
Commune (comparativement moins abordée ici), mais peut-être surtout
pour les crises de 1848, pour le Second Empire, d'abord vécu parmi les exigés
de Londres, enfin pour la guerre de 1870.
Lors des grandes insurrections que l'on croirait devenues mythiques
(pour s'en gausser ou pour les admirer), ce qui ressort devant le courage des
insurgés, c'est l'effroyable violence de la répression militaire. La peine de
mort politique appliquée massivement accentuait l'alternative «La liberté ou
(...)a mort» ; elle confirme, s'il était besoin, l'influence des expériences et des
recherches rapportées par Lefrançais. Ce témoignage éclaire les conditions
quotidiennes de l'époque, son absence de «droits», l'exclusion professionnelle
qui ruinait la vie entière d'athées ou de socialistes, la surveillance qui
(...)rappait les proscrits en province, l'exhibition des prisonniers politiques que
(...)'on traînait devant le public. L'indignité des républicains officiels, passés
d'un roi bourgeois à un petit empereur, n'agrandit pas la réputation de noms
glorieux (Louis Blanc, les Raspail, les Arago, G. Sand, V. Hugo...) et atteste
quel précipice distingue les réputations de manuels et les réalités du temps.