Au regard des encyclopédies, Spinoza est ordinairement présenté comme le
philosophe de la Substance, qui seule existe et dont l'homme n'est qu'un Mode
parmi d'autres, tous soumis au plus strict déterminisme. Le théoricien aussi du
savoir absolu, seule voie vers la vraie liberté.
Pour autant Spinoza ne prétend pas tout savoir : il ne cesse au contraire
d'avouer des gouffres d'ignorance, cernant les îlots de certitude ; mais c'est
pour mettre ces îlots à l'abri de ceux qui font de l'ignorance un argument pour
tout plonger dans l'abîme. Car l'ignorance se substantialise elle-même sous la
forme d'illusions tenaces, vidant la réalité de sa substance propre et bloquant
l'accès à la connaissance de l'homme et de la Nature. Le libre arbitre, le
finalisme, l'exaltation des passions tristes, sont les piliers d'une construction
bancale et absurde, qui toujours s'effondre sur ses bâtisseurs et que, faute d'un
autre modèle, on s'obstine de siècle en siècle à échafauder de nouvelle façon.
C'est cet autre modèle que Spinoza construit en même temps qu'il démonte le
précédent.
Cet ouvrage n'a pas la prétention d'arpenter l'ensemble du système, mais
seulement d'amorcer l'entreprise au moment où le savoir qui se sait se distingue
de l'ignorance qui s'ignore. Alors, le progrès est possible.