«Ça ne veut pas rien dire», écrivait Rimbaud au sujet de son
poème Le Coeur supplicié. Si une partie de la critique rimbaldienne
a pu répudier le «besoin d'interpréter» (selon la formule
d'O. Mannoni), la plupart des lecteurs admettront que cette oeuvre
exige l'interprétation : «Oui, ça veut dire quelque chose, mais
quoi ?» Pour les premiers poèmes, certaines difficultés découlent de
l'oubli de la conjoncture historique ou de significations de mots ou
de locutions, mais on sous-estime, pour l'oeuvre de 1869-1871, la
prolifération de formes d'opacité qui devaient perturber déjà le
lecteur de l'époque, à cause d'imbrications et de palimpsestes
sémantiques et référentiels. Inversement, on a pu méconnaître
l'historicité des Illuminations, érigeant en dogme l'hypothèse de
l'«illisibilité» absolue d'un recueil qui trouve pourtant ses racines
(lisibles) dans la France répressive d'après la Semaine sanglante. Le
présent livre s'attache à explorer les esthétiques de Rimbaud entre
1870 et 1875, privilégiant des microlectures de poèmes (en vers et en
prose) et d'extraits de lettres. Mais tout en tenant compte des aspects
formels de l'oeuvre, ces approches interprétatives des stratégies de
Rimbaud ne dissocient jamais les esthétiques du poète de ses exigences
éthiques.
La série Essais des Champion Classiques réunit des études fondamentales qui ont
fait ou font date dans le domaine considéré. Elles sont issues du fonds des
Éditions Honoré Champion, revues, corrigées, augmentées si nécessaire, ou
publiées pour la première fois dans une collection de référence.