Aucun de nous pour échapper, dans l’écriture, à comment dire l’image. L’image fixe, l’image animée et sonore du cinéma, l’inscription matérielle de l’image dans notre contexte culturel et social, et nos pratiques de ces images.
Ici, c’est cela qu’on assigne comme matière même du récit. Non pas un film en général, avec scénario et histoire, mais une relation homme-femme destinée elle-même à devenir objet d’étude ou de langage pour un sociologue. Sauf qu’on revient en amont, aux seules images et comment elles s’organisent : comment celui qui veut les utiliser les construit, et comment partiellement elles lui échappent.
C’est ce biais qui permet à Alexandra Baudelot de se saisir de cette matière dynamique et fluide, les images, pour en faire objet de récit.
Voilà comment l’échange a commencé, je retranscris l’e-mail :
J’aurais aimé vous faire parvenir un manuscrit dont le titre "SUPER 8" inscrit déjà en partie les sources de ce travail entre documentaire, fiction et récit. Ce texte prend donc sa source dans un grand nombre de films Super 8 réalisés entre 1954 et 1981. Ces films sont l’oeuvre du sociologue français Jacques Borret qui s’intéressa à ce support pour mener son enquête sur l’émergence de la culture des loisirs en France.Maintenant, savoir qui m’écrivait, deuxième e-mail en réponse :
Je suis critique d’art pour des revues comme Mouvement et Parachute. Je publie également à l’étranger. Je travaille essentiellement sur la performance et la danse contemporaine. Il m’est également arrivé d’écrire sur la poésie sonore. Je viens de sortir un livre publié dans la collection Nouvelles scènes aux éditions des Presses du réel. Je dirige la revue Mission Impossible, revue de création qui invite artistes plasticiens, écrivains, performers, poètes, intellectuels... à concevoir une proposition artistique pour la revue, pensée comme un espace d’exposition à part entière. Cette revue a été mise en place par Christophe Fiat et dans cette version par moi-même. J’ai publié des textes de fiction dans la revue du Passant ordinaire et dans une anthologie d’écrivains et poètes français publiée au Portugal. Je travaille actuellement sur la conception d’un livre qui s’inscrit dans la continuité de la création des Feuillets d’hypnos / 237 actions pour la scène mis en scène cet été par Frédéric Fisbach au festival d’Avignon à la cour d’honneur du Palais des papes. Ce livre invite poètes, écrivains, philosophes à prendre comme point d’appui et de départ le texte de René Char Feuillets d’hypnos pour inscrire les questions d’engagement politique et de résistance, ainsi que celle de la représentation et de la langue dans un contexte contemporain.Maintenant, le corps du texte : un ensemble de proses brèves, découpées avec la plus extrême précision, et qui ne sont pas un mouvement vers le réel, mais capter par le langage ce qui se joue dans le temps limité et fragile d’une relation homme femme avec caméra, bien avant L’Homme atlantique de Marguerite Duras, où le rapport homme femme sera inversé.
Retour sur le dispositif :
Claire est danseuse, elle s’étourdit en noir et blanc. Claire est au fond d’un studio de danse. Claire est dans le monde sans le support du papier. Elle aime les effets de transparence visuelle, les disparitions temporaires, les apparitions éblouissantes. Il faut forcer le regard pour la voir et voir la blancheur surexposée de ses jambes qui répètent sans fin un équilibre sur pointes. Parfois on aperçoit aussi le sourire juvénile de Claire. Claire ne voit pas l’obscurité noir et blanc. Les ombres, elle s’en fout. Claire croit vivre en couleur. Claire est jeune, belle, danseuse et le monde entier adule Claire. L’obscurité jaillit de tout. L’obscurité qui émane des corps n’est pas visible à l’image. Impossible de voir le sombre drame qui un jour recouvrira tout jusqu’à supprimer l’existence de l’image. Cette obscurité ne sera visible que bien plus tard quand les couleurs VERICOLOR II PROFESSIONNAL FILM remplaceront les noirs et blancs.J’ai intitulé cette rubrique zone risque : l’expérience texte, entre image et réel, dans ce jeu homme femme redoublé par le rapport passé présent, et parce que l’écriture devient le seul recours pour aller par delà ce qui se joue entre ces quatre vecteurs de tension, cela prend tout son sens avec le texte que propose Alexandra Baudelot.
FB