« Il prit l'habitude de s'allonger sur la lande, sentant qu'il pourrait approcher ainsi l'échelle de perception du jeune corps qui s'était formé sur les buttes, au contact. La saison était maintenant silencieuse, débarrassée de l'agitation vacancière. La lande lui appartenait à nouveau avant que le mauvais temps n'en limite l'usage. Et c'était encore une fois ce grand moment de clémence qui suivait l'été dans le paysage, le seul moment qui lui procurait une parenthèse de calme relatif dans la longue fébrilité rageuse qui dominait le cours des années. Son corps lui semblait se dénouer peu à peu pendant qu'il se concentrait, les yeux clos pour ne pas se disperser dans l'appel du ciel, sur le toucher de la terre que lui apportait chaque parcelle de son être posée sur le sol. Il parvenait à sentir le poids d'un bras, d'une épaule, de morceaux du corps séparés par la différence des résistances qu'offraient les matières de la lande. Ces séjours horizontaux déchiraient à la fois son corps et sa mémoire, et c'était pour lui comme une technique de l'oubli pour effacer ce qui s'était accumulé dans l'une et dans l'autre et tenter de revenir à cet état natif qui avait précédé pendant un temps l'abîme de l'existence. »