L'histoire coopérative du taxi déboule sur le pavé parisien en 1872. Un jour, un
certain Dardelle, co-fondateur de la plus ancienne association de cochers, jeta
des phrases comme on lance un gros mot : «Chez nous, on partage les bénéfices
au prorata du travail». L'élan coopératif et solidaire venait d'être donné.
En octobre 1886, les 24 coopératives de cochers en activité à Paris portent
des noms qui désignent des ambitions parfumées d'utopie : l'Espérance,
le Progrès, l'Égalitaire...
Mais voilà que dans les derniers virages d'un XIXe affairiste, l'automobile fit
son apparition avec, sur la banquette arrière, des hommes de la finance
emballés par l'engin pétaradant. Exit la civilisation du cheval. L'auto triompha !
La modernité venait de changer de véhicule et, faute de capitaux suffisants
pour investir dans le cheval-vapeur, les coopératives de cochers mordirent
la poussière.
Jusqu'à la fin des années 60, les grandes compagnies de taxis s'ouvrirent
un boulevard qui finit par être embouteillé. Paris ? «Garage en folie», dira
Louis-Ferdinand Céline. Les profits ne sont plus à l'heure au rendez-vous. Le
mitterrandien André Rousselet, patron de la G7, Robert Catherine, surnommé
l'Empereur du taxi, à la tête de la Sgl, le pompidolien Pierre Juillet, p-dg d'une
holding qui contrôle la compagnie Gat, partagent le même constat : le système
salarial arraché par les chauffeurs de taxi en 1936 n'est plus tenable.
Ils se désengagent fissa de l'exploitation directe du taxi par «le travail au forfait»
(G7) ou «l'actionnariat salarié» (Gat, Sgl) rendu possible par les ordonnances
d'août 1967 voulues par le général de Gaulle. L'actionnariat ? Une aubaine
pour les chauffeurs qui osèrent pousser le bouchon de la logique participative
jusqu'au bout en transformant ces entreprises capitalistes en coopératives !
Les trois compagnies coopératives (Barco, Gat, Taxicop), nées de ces
chamboulements, scelleront un pacte d'alliance qui donnera naissance au
groupement Gescop et au central radio Alpha Taxis... pour «vivre le taxi
autrement». Depuis qu'ils ont pris en main leur destin professionnel, les
1 130 chauffeurs associés de GESCOP véhiculent une pratique concrète
de l'économie participative et solidaire.