Tchétchénie, An III
« La Tchétchénie, c'est comme 1937, 1938 », me déclare dans son petit bureau moscovite un des dirigeants de Memorial, la plus grande association russe des Droits de l'homme. « On achève un vaste programme de construction, les gens reçoivent des logements, il y a des parcs où les enfants jouent, des spectacles, des concerts, tout a l'air normal et... la nuit, des gens disparaissent. » C'est ce même homme qui m'a décrit la « tchétchénisation », nom donné à la décision prise par Vladimir Poutine en 2002 d'installer un pouvoir tchétchène prorusse fort, principalement composé d'anciens rebelles, dirigé par l'ex-mufti indépendantiste Akhmad-Khadzhi Kadyrov, comme le « transfert du pouvoir de mener des violences illégales des structures fédérales aux structures locales ». Et il était d'accord que cette « tchétchénisation » avait entraîné un réel changement : « Les violences ne sont pas moins cruelles, mais elles sont plus sélectives. »
Une corruption effrénée, une néo-islamisation à outrance, une politique de cooptation d'anciens rebelles, le tout adossé à des pratiques de torture et de meurtre systématiques visant le moindre opposant, voici le constat à la fois lucide et terrifiant qu'établit Jonathan Littell après un séjour de plusieurs semaines à Moscou et en Tchétchénie de la situation qui règne dans cette région officiellement « pacifiée », en la troisième année de pouvoir de l'homme fort de Poutine, Ramzan Kadyrov.