Écrire et broder, imprimer et tisser. Dès les origines de la production
des textes et des images ces couples conceptuels ont correspondu à des
échanges d'objets et de pratiques entre l'univers du livre et celui de l'étoffe :
alphabets à broder pour l'apprentissage de la lecture, reliures en tissu
- vêtement habituel du livre de luxe -, textes et images circulant du tissu
au papier, depuis les premières impressions à la planche de bois jusqu'aux
«indiennes» qui ont fait la fortune des imprimeurs d'étoffes et les
inscriptions qui ont envahi la mode contemporaine. Parallèlement,
les représentations symboliques unissant le livre et l'étoffe comptent
parmi les plus fortes de notre culture et ont marqué l'histoire littéraire
de l'Europe. Révéler la trame du texte, l'occulter, la défaire, a été
l'obsession des plus grands écrivains européens.
Les articles de cet ouvrage examinent conjointement ces pratiques
au cours du millénaire qu'ouvrent les «vers tissés» carolingiens
et qui se referme aujourd'hui avec les textes en anglais macaronique
ornant les T-shirts produits dans le sud-est asiatique. Ils poursuivent
à leur manière les travaux menés il y a une vingtaine d'années autour
de Nicole Loraux et Jesper Svenbro, qui étudiaient la métaphore antique
du tissage et qui étaient curieusement restés sans descendance.
Les points de vue ici abordés, largement pluridisciplinaires, considèrent
les relations entre texte et textile, entre tissu et papier, non comme
un aspect second, accessoire, de l'étude de ces domaines, mais comme
élément premier et fondateur. Tel est le pari et l'originalité de ces travaux :
poser que le texte n'est pas pensable sans le textile, de même qu'il n'y a pas
de papier sans chiffon.