«Chacun sait quelle folie s'est aujourd'hui emparée
du monde, chacun sait qu'il participe lui-même à
cette folie, comme victime active ou passive,
chacun sait donc à quel formidable danger il se trouve
exposé, mais personne n'est capable de localiser la
menace, personne ne sait d'où elle s'apprête à fondre sur
lui, personne n'est capable de la regarder vraiment en
face, ni de s'en préserver efficacement.» Ainsi s'ouvre la
Théorie de la folie des masses de Hermann Broch. Mais
nul ne sait où elle commence, ni où elle finit, tant son élaboration
fut problématique, au point qu'on peut se
demander si le sujet n'a pas eu raison de l'oeuvre, et si
celle-ci ne se devait pas d'être retravaillée sans cesse,
comme n'a de cesse cette folie des masses contre laquelle
la raison vient buter sans parvenir à l'infléchir.
Commencée vraisemblablement à la fin des années 1930,
la Théorie de la folie des masses accompagne Hermann
Broch jusqu'à sa disparition en 1951 sans qu'il parvienne à
lui donner une forme définitive. C'est donc un véritable
laboratoire d'idées qui est donné à lire - laboratoire d'une
vie tout entière consacrée à la pensée, qu'elle prit la forme
des célèbres romans tels que La mort de Virgile ou Le
Tentateur, ou d'essais sur la Logique d'un monde en ruine,
parus il y a quelques années dans cette même collection.