Critique de la politique Payot
L'utopie se meurt d'un double oubli : celui du sensible qui l'anime comme celui des corps qui la portent. D'un marxisme devenu orthodoxe aux conservateurs de tout bord, se répète la même amnésie aux dépens d'une aspiration des peuples à la liberté. Cette perte du recours au sensible dans les lectures politiques de l'utopie se traduit par des processus d'occultation et d'assignation destinés à domestiquer une pensée sauvage faite de pratiques critiques de l'écart, rétive à l'ordre établi. Cela, au mépris de topeaugraphies de l'utopie pourtant bien réelles qui forment de singuliers tissus de possibles sillonnés de désirs, traversés d'échappées - la membrane mouvante d'un monde autre ouvert à l'émancipation.
Contre cette atrophie récurrente, Florent Perrier fait, à partir de Charles Fourier et de Claude-Henri Saint-Simon, le pari de relever l'utopie de cette mutilation durable en arrimant pour elle, comme pour l'art, le désir au sein du politique. Mettant en relief la teneur première de l'avant-garde des artistes - pressentir, désirer, appeler le peuple, la révolution, la société autre -, ces esquisses sur l'art, l'utopie et le politique ne réhabilitent pas seulement mais actualisent, ne sauvent pas uniquement mais concrétisent un partage du sensible qui, d'écart en d'écart, oeuvre à la venue de l'hétérogène quand, force tangible, l'utopie se conjugue au présent du subversif.
Porté par une hérétique de l'utopie, cet essai maintient ouvert le présent à l'effraction du différent, du dissemblable, de l'inaccoutumé : à leur dissonance même, révélant, par l'utopie comme par l'art, l'outrepassement des limites instituées. C'est à leur revers que s'annonce alors, forte d'une insatisfaction critique, d'une intranquillité figurative permanentes, la persistance politique d'une esthétique de la résistance.