En 1791, l'île de Saint-Domingue est la plus riche des colonies
de tout l'hémisphère occidental grâce à ses plantations, qu'exploitent
les Espagnols et les Français au prix de la vie d'innombrables
esclaves venus d'Afrique.
Treize ans plus tard, en 1804, les rebelles haïtiens proclament
leur indépendance vis-à-vis de la France après la première - et
la seule - révolution d'esclaves de toute l'histoire.
Le succès de ce soulèvement peut, en grande partie, être
attribué à un homme : Toussaint-Louverture. Né lui-même dans
l'esclavage, Toussaint, au fil d'une irrésistible ascension, a accédé
au titre de général. Personnalité charismatique et habile
meneur d'hommes, il parvient à gagner l'attachement des
Mulâtres comme des Noirs, à lever une armée impressionnante et,
en soldat éprouvé, à défaire ses ennemis successifs. Napoléon Ier
viendra mettre un terme à cette épopée en condamnant Toussaint
à l'exil en France, où il mourra dans un cachot du fort de Joux.
Loin de succomber à la tentation de mythifier le général noir,
Madison Smartt Bell, tout en examinant les stratégies, souvent
controversées, adoptées par Toussaint, s'emploie à démontrer,
archives à l'appui, que le destin de cet homme d'exception
s'enracine authentiquement dans le seul et inébranlable désir
d'aboutir à la libération des Noirs de Saint-Domingue.
Et c'est fort de l'intérêt passionné qui l'anime de longue date
vis-à-vis d'un territoire, l'actuelle république d'Haïti, auquel il a
consacré une magistrale trilogie romanesque - Le Soulèvement
des âmes, Le Maître des carrefours et La Pierre du bâtisseur
(Actes Sud) -, que l'écrivain, en bousculant une approche bien
souvent trop prompte à assigner à Toussaint-Louverture soit le
rôle de martyr de la Révolution soit celui d'instigateur de l'un
des épisodes les plus brutaux et les plus violents de l'histoire,
rend ici magnifiquement justice à la profonde complexité du
"Napoléon noir", qui est, assurément, l'une des plus fascinantes
figures tant de l'histoire du Nouveau Monde que de celle de
l'humanité.