Mami dit qu'à l'époque il n'y avait plus de magasins ouverts, ni de chocolat
chaud, ni de jouets, ni de layette, ni de carnavals. Tout n'était que silence et stupeur.
Irréalisable, alors, la récolte de la canne à sucre des dix millions de tonnes ; la
vie fut reportée à plus tard. Seul restait le froid humide de la mer, et pensant
aux «Europes» et aux lettres des amis qui y étaient partis, elle décida de m'appeler
Nieve, neige comme on dit en français. Je ne le lui pardonnerai jamais. Je me
suis toujours sentie ridicule avec ce prénom. Tous les étés, quand je nageais loin,
j'entendais le «Nieve, Nieve, Nieve !» de ma mère depuis le rivage. Une fois sur
le sable chaud je voulais me dissoudre de honte. Avec cette chaleur, qui songe à
donner ce prénom à une fillette à Cuba ?
Alors que tout le monde s'en va pour un ailleurs fantasmé, Nieve grandit
sur l'île, dans la Cuba des années 1980, consignant dans son journal intime
les évènements marquants de son existence. Depuis son enfance tiraillée
entre des parents bohèmes qui se déchirent jusqu'au prémices de sa vie de
femme, c'est un itinéraire personnel, poétique et sans fard, qui se dessine
alors. Celui d'une jeune fille pour qui les expériences amoureuses vont
participer de l'éveil d'une sensibilité artistique comme d'une conscience
politique. La pulsion créatrice bat au coeur de ce récit, comme possibilité
d'accomplissement mais aussi de résistance, alors que tout le monde s'en va.