Un commerce intime, tantôt exalté, tantôt inavouable, entre l’œuvre de Proust et celles de Merleau-Ponty, Sartre, Deleuze ou Barthes se joue au cœur des années 1950-1970, au moment où sont renouvelées les façons d’envisager la production théorique. Si le romancier les a particulièrement captivés, c’est que son œuvre venait amplifier ou heurter non seulement leur pratique réflexive, mais le sens même de leur existence et de leur engagement dans l’écriture. Du roman au traité, de la vie de l’un à la vie de l’autre, naît une étrange érotique des pensées, où se créent des partages sereins, des négociations passionnées, des appariements effrayants.
Trafics de Proust opère un enfoncement dans la durée longue de ces échanges, de ces prêts sur gages et de ces résiliations. Son enjeu est de rendre compte des stratégies qui mènent un penseur lisant Proust à construire ou déconstruire ses cadres cognitifs, à s’articuler, dans la fluidité du jeu ou le coincement grinçant, à une vie de la pensée où (dé)raison, émotion et fiction consonnent avec individuation. Sont ainsi restituées des pensées sensibles, comme autant de formes de soi traversées par le romanesque.