Dans le corpus des textes bouddhistes indiens, La Continuité suprême du Grand Véhicule (Mahāyāna-uttaratantra-śāstra) est le principal traité consacré à la nature de bouddha. Depuis son apparition au Tibet au XIe siècle, ce texte a conquis le coeur et l’esprit de nombreux lettrés et pratiquants, soulevé d’importantes questions doctrinales et animé d’incessants débats qui ont donné lieu à une abondante exégèse.
Or, malgré les positions divergentes des commentateurs de ce traité qui s’inspire des « soûtras du tathāgatagarbha », propres au troisième cycle des enseignements du Bouddha, cette oeuvre ne se laisse enfermer dans aucun système particulier. Par-delà la logique des vues scolastiques, elle exalte surtout l’immensité immaculée que nous portons en nous depuis l’absence de commencement. Dès lors que cette quintessence pure et lumineuse est dégagée des voiles adventices, la sagesse née d’elle-même se révèle comme un soleil libre de nuages. Une fois éveillées, les qualités peuvent alors s’exprimer et accomplir sans effort les activités destinées au vaste bien des êtres.
C’est donc à l’ineffable Éveil que nous invite la lecture de ce livre où l’on trouvera les strophes originales du traité indien et les explications du célèbre maître tibétain Jamgön Kongtrul. Trait d’union entre les soûtras et les tantras, ce traité révèle la présence immédiate et parfaite du fruit au moment de la voie. Pour les adeptes du mahāmudrā, qui appréhendent la base, la voie et le fruit sous l’angle de la dimension absolue, le présent traité est autant un fondement théorique qu’une méthode pratique.
Mahāyāna-uttaratantra-śāstra
La Continuité suprême du Grand Véhicule fait partie des cinq textes que la tradition tibétaine attribue à Maitreya – bodhisattva du plus haut niveau qui réside dans le ciel des Tuṣitas, un monde céleste hors d’atteinte des êtres ordinaires où il se prépare à devenir le cinquième bouddha de notre ère.
Pendant cinquante années humaines, le maître indien Asaṅga (320-390) y aurait reçu cet enseignement directement de la bouche de Maitreya pour le rapporter dans notre monde sous forme écrite.
Ce texte, vraisemblablement en conflit avec les idées philosophiques de l’époque, aurait ensuite disparu d’Inde entre le VIIe et le Xe siècle, avant que l’adepte érudit Maitrīpa (1007 -1085) le retrouve, dans un vieux stoupa, et en reçoive aussi les instructions directes de Maitreya.
Même si ce texte, apparemment constitué de plusieurs strates, n’est sans doute pas l’oeuvre d’un seul auteur, et si sa paternité continue à faire débat, il joua un rôle considérable dans le développement de la pensée bouddhiste puisqu’il constitue le traité fondamental sur le tathāgatagarbha – « quintessence des tathâgatas » ou « nature de bouddha ». En raison même de la présence de cette nature essentielle en chaque être et du caractère adventice des affections mentales avec lesquelles elle cohabite, il n’y a pas de différence fondamentale entre un être « ordinaire » et un être « éveillé ».