Mort au combat à l'âge de trente-trois ans, Robert Hertz (1881-1915) était le disciple le plus prometteur d'Emile Durkheim et de Marcel Mauss, fondateurs en France de la sociologie et de l'ethnologie, alors indissociables. Ses premières contributions au programme de recherche de l'école durkheimienne - études sur la représentation collective de la mort ou sur la prééminence de la main droite - sont justement célèbres. Mais il fut aussi un des animateurs du socialisme intellectuel du début du siècle. La ferveur de son engagement se retrouve dans le patriotisme qui l'anime pendant la guerre.
Dans les lettres que Robert Hertz écrit du front, d'août 1914 à avril 1915, à sa femme Alice (elle-même intellectuelle et qui prit une part active dans les mouvements de réforme pédagogique en France), s'entrecroisent l'écho des débats idéologiques du temps et le récit de la vie quotidienne d'un soldat dans les tranchées. Récit orienté souvent par un regard ethnographique : Hertz, seul durkheimien à avoir mené une étude sur le terrain (sur le culte de saint Besse), est fasciné par les «poilus de Mayenne et d'ailleurs», ces «artistes en sociabilité». On y trouve aussi les interrogations de Robert Hertz sur son identité d'intellectuel à la fois «sociologue, socialiste, juif». C'est son désir d'intégration au peuple français considéré comme le «peuple élu» qui l'amène à un sacrifice attendu et presque souhaité.
Document brut, mais admirablement rédigé, ces lettres sont une «incroyable découverte intellectuelle» pour le spécialiste de la guerre de 1914, écrit Jean-Jacques Becker dans sa préface. Christophe Prochasson, pour sa part, y voit un exemple extrême de cette «culture du consentement» qui caractérisa l'engagement des poilus dans la guerre.