« Genève, 12 mars 1686
Ma très chère mie, Etan arivé en bonne santé au port desiré,... je n’ay pas volu manqué de vous tirer de la pène où j’ai creut que vous estiez. Vous ne sauriez croyre le chagrain que j’ay ut, lon de la route, mais ma consience ettan chargée de ce malhereux manquement et voyant que mon ame bruler dedans moy, je ne pouvois vivre ny mourir ; donc, pour rafraichir mon ame, je suis venu chercher la pature de vie ; et Dieu, voyant mon bon santiment, m’a fait la grace de venir au port désiré... »
C’est ainsi que commence la première de la trentaine de lettres cachées sous le toit d’une maison de Marsillargues (Gard), découvertes par hasard trois siècles plus tard, à l’occasion de travaux de restauration. Jean Farenge, jeune teinturier protestant réfugié à Genève, s’adresse à sa femme, Madelaine, restée à Marsillargues. Bouleversé par son abjuration en octobre 1685, au moment de la grande dragonnade qui précéda la Révocation de l’édit de Nantes, il explique le choix difficile de quitter son amour, sa famille, son pays. Il ne regrette pas sa décision et décrit le bonheur de Genève, la liberté de conscience, l’accueil fraternel des habitants. On le suit de lettre en lettre pendant trois ans, à Lausanne, puis à Berne, enfin à Yverdon.
Ces lettres dévoilent des fragments de la vie du petit monde de Marsillargues – famille, amis, Église – que la Révocation a fait éclater et que le Refuge recompose plus ou moins. Elles font surtout entendre au vif les émotions, la foi, la voix d’un réfugié huguenot ordinaire.