Un Journal n'est pas ce qui s'appelle un journal intime.
C'est le cahier impersonnel et singulier d'un poète qui fait
des confidences générales. Dans la difficulté, comme un
Merlin après le départ de Viviane, il trouve une continuité,
une suite musicale de pensées.
Sous la cloche de verre, ou prison d'air enchantée, il regarde
intensément le monde et ses rudesses ambiguës, ses
oeuvres. Il écrit des lettres ouvertes. Et le journal se change
en lieu de rendez-vous. C'est une bande de liberté peuplée
de gens aimés et de passants considérables. On y voit
Joubert, Cyrano, Thoreau, Arendt, Benjamin, Maurice
Leenhardt, Etty Hillesum et Lucile Desmoulin, Tchekhov,
Akhmatova, Tristan, Haydn ou Bergman, Dreyer, Ninon de
Lenclos et Renoir... D'autres aussi, Turner, John Ford,
Matisse, Lipavski sortent de chez eux. Ils sont les noms
de rêves éveillés, de gestes purs qui délivrent des leçons ou
quasi-sermons. Le Journal se fait table d'hôte publique
pour changer les dispositions d'un monde. Bien des thèmes
y sont évoqués : lumière, sommeil, attente, oubli, génie,
coeur parlant, silence, politique, amour et travail,
sincérité, mièvrerie, démasque... Et la prose est gagnée
par le rythme de la force de contacter, qui s'appelle poésie.