L'histoire de Valentin Conrart est celle d'une puissance sociale fondée
sur une exceptionnelle présence dans le monde des lettres de son temps :
au lieu de poursuivre l'ascension familiale dans le négoce, il devient
officier du roi spécialisé dans les affaires de librairie, secrétaire de
l'Académie française, figure en vue des salons, personnage central enfin
du monde des auteurs qui l'érigent en «secrétaire d'État des belles-lettres».
En démontant les ressorts de cette autorité qui n'est assise sur
aucune oeuvre, ce livre revisite ce que le secrétaire de l'Académie appelle
lui-même la «profession des lettres» au XVIIe siècle. À suivre Conrart
dans ses activités d'intermédiaire de publication, c'est-à-dire de
fabrication de la réputation des auteurs, on découvre sous un nouveau
jour les relations entre pouvoir royal et écrivains, le processus de
production des livres entre le cabinet de l'auteur, l'atelier du libraire et
la Chancellerie où se délivrent les privilèges d'impression, et par là les
logiques profondes qui gouvernent la «république des lettres».
Mais Conrart utilise encore sa compétence dans le maniement des textes
pour rendre de multiples services au pouvoir politique, aux aristocrates
des salons, à la communauté protestante parisienne dont il est un notable,
à sa famille de commerçants et de banquiers. La démarche de Nicolas
Schapira consiste à observer ces espaces sociopolitiques à la lumière de
l'activité d'un homme de lettres en leur sein, et à envisager en retour
les lettres à partir de leurs effets dans d'autres champs sociaux, à une
époque où ni la littérature ni l'écrivain n'ont encore de statut bien défini.
En croisant tous les fils qui tissent une identité sociale, l'auteur démontre
ainsi que le professionnel des lettres du XVIIe siècle est un professionnel
de la politique, dont la réussite sociale - fortune, honneur, réputation -
dépend de la capacité à négocier dans l'action, c'est-à-dire plume en
main, la diversité de ses engagements.