La progressive prise en considération de la facture de la peinture dans la culture
artistique du XVIIIe siècle est l'histoire d'un enrichissement du regard. La peinture était
décrite jusqu'alors comme une fenêtre ou comme un miroir. Elle devint aussi une
matière. Au commentaire d'une image s'ajouta le commentaire d'une surface. Nous
sommes aujourd'hui entièrement redevables de ce retournement paradigmatique qui
eut lieu vers 1760.
Ce livre ambitionne d'expliquer de quelle manière la question de la nature picturale
de la peinture devient peu à peu prééminente dans les esprits de l'époque, jusqu'à
fonder notre regard critique actuel. Il analyse les tensions et interactions entre le
discours et la pratique, en partant du théoricien André Félibien jusqu'au peintre
Jacques-Louis David. Textes et tableaux sont rassemblés autour de quatre lieux :
l'Académie et les textes théoriques ; l'atelier et le témoignage des pratiques, aussi bien
par les documents écrits que par les oeuvres ; le Salon et la critique d'art ; la salle
de vente et le vocabulaire des catalogues de vente. Sur ce dernier lieu, la méthode
statistique permet de suivre très finement l'évolution chronologique du champ lexical.
Chargée de promouvoir les tableaux, cette nouvelle littérature artistique n'hésite pas
à en souligner audacieusement les qualités proprement picturales. Une nouvelle voie
s'ouvre alors, qui permettra, un siècle plus tard, à Delacroix d'affirmer précisément
que «le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour l'oeil».