Après les libellules
Les libellules aussi communes que la lumière du soleil
oscillaient de leur temps
en arrière en avant à l'oblique
telle la mémoire même
maintenant des adultes pressés
qui n'en ont jamais vu
ne savent pas ce qu'ils
ne voient pas
les nervures des ailes de libellule
étaient faites de lumière
les nervures des feuilles les connaissaient
et aussi les rivières qui coulent
les libellules avaient éclos de la couleur de l'eau
elles connaissaient leur chemin
quand à leurs yeux nous sommes apparus
nous étions inconnus
elles ont repris leur lumière quand elles s'en sont allées
nul ne se souviendra de nous
Un temps au jardin,
dernier recueil de W. S. Merwin publié en 2016, est le legs d'un poète qui laisse à ceux qui vivent encore la trace poétique d'un présent partagé, une mémoire entretissée d'oubli. Veilleur du crépuscule, le poète fuit la lumière décapante, celle qui découpe et capture et appauvrit le monde, et nous engage à goûter ce qui toujours échappe. Maintenant. Une fois pour toutes, c'est-à-dire, dans la reprise infinie qu'est le temps du poème, le temps au jardin.
Un temps au jardin est présenté ici dans une version bilingue, traduit en français pour la première fois par Thomas Dutoit et Cécile Roudeau. Ce volume comprend leur commentaire, L'éblouissement de l'ombre : écrire à l'approche du crépuscule, et leur traduction inédite d'un essai biographique de Robert Becker, La forêt de palmiers de W. S. Merwin, qui rappelle l'attachement profond du poète à sa palmeraie de Maui à Hawaï.
After the Dragonflies
Dragonflies were as common as sunlight
hovering in their own days
backward forward and sideways
as though they were memory
now there are grown-ups hurrying
who never saw one
and do not know what they
are not seeing
the veins in a dragonfly's wings
were made of light
the veins in the leaves knew them
and the flowing rivers
the dragonflies came out of the color of water
knowing their own way
when we appeared in their eyes
we were strangers
they took their light with them when they went
there will be no one to remember us