Longtemps les dirigeants français ont envié ceux de la République fédérale :
le voisin allemand résistait mieux à la crise mondiale déclenchée par les chocs
pétroliers des années 1970. En fait l'Allemagne occidentale avait effectué,
après 1945, une reconstruction sans pareille, puis s'était affirmée comme l'un
des grands pays exportateurs parce que, disait-on, l'esprit d'entreprise y était
plus valorisé, l'État moins dépensier et les syndicats plus raisonnables qu'en
France. On vantait le «modèle» allemand, symbolisé par la force du Deutsche
Mark, devenu une monnaie de réserve officieuse pour les investisseurs du
monde entier. S'ils jalousaient et craignaient le puissant voisin, les dirigeants
français se répétaient aussi que le «géant économique» restait un «nain
politique», la catastrophe du nazisme ayant rendu les Allemands modestes
dans leurs exigences, et soucieux de ne rien entreprendre sans consulter le
partenaire français et le protecteur américain.
Et puis vinrent la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'Union
soviétique. L'Allemagne de l'Ouest intégra la RDA. Désormais le moteur
économique du continent en était aussi la première puissance politique.
L'Allemagne, pourtant, n'a pas abusé, sauf dans l'ancienne Yougoslavie, de
cette puissance retrouvée : sa population est majoritairement pacifiste ; surtout,
depuis le milieu des années 1990, la République fédérale est entrée dans une
crise économique profonde qui remet en cause le «modèle allemand». Loin
de lui avoir procuré un surcroît de puissance, la réunification, inachevée, pèse
lourdement sur ses finances. Souffrant du poids excessif des dépenses publiques
et des charges sociales, l'Allemagne ressemble de plus en plus à la France.
C'est donc à une nouvelle perception de notre voisin que nous invite
Edouard Husson : un pays dont on doit moins redouter la puissance que
l'affaiblissement ; une nation menacée par son déclin démographique ; le coeur
industriel fragile d'un continent européen qui risque d'être un grand perdant
de la mondialisation.