Dès le premier des entretiens ici réunis, qui portent sur vingt-cinq années de publication, de Garde-manche hypocrite (1996) à Traité des Sirènes (2021), Philippe Beck réfère à « l'autre clarté » du poème, dont parle Hölderlin, et au besoin de « re-simplifier » la poésie. Chesterton, dans son livre consacré à Robert Browning, en son temps accusé d'être hermétique et plus philosophe que poète, a montré de manière lumineuse que l'obscurité « avait une origine radicalement opposée à celle qui lui était attribuée. » Le poète était obscur, « parce qu'il était humble », ayant conscience de la difficulté de la tâche. En vérité, chacun des entretiens (avec Pierre Michon, Alain Badiou, Jacques Rancière, Tedi Papavrami et tant d'autres) manifeste ici le souci du poète d'éclairer son oeuvre propre, de mettre en évidence sa forme de clarté, et de préciser son rapport aux auteurs et aux thèmes qui l'ont nourri, mais surtout de mieux définir « cette bizarre activité identifiable, qui s'appelle Poésie ». Quiconque se plongera dans la lecture du volume y puisera ce qu'on peut lire de plus juste et de plus éclairant sur ce que pourrait être un art poétique contemporain.
« Un paradis est en puissance dans l'oubli relatif, le poids déposé de l'expérience d'un enfer ; la puissance de bonheur qui me semble attachée à l'idée de la poésie, même élégiaque, et jusqu'au thrène historique, provient de l'exigence de maintenir l'idée du mieux dans le malheur même. Le pur malheur, c'est la mort. La pure vie générale, comme solitude où disparaît le malheureux, c'est la mort. L'exigence de bonheur est ce qui, discrètement, rend vivantes nos phrases partagées, si rebattues qu'elles soient : elles se rescandent, s'éprouvent encore et encore dans nos phrasés, nos essais rythmiques de chaque instant, divisés et liés. »
Philippe Beck, « Poésie et témoignage », entretien avec Frédérik Detue, 2016.