Vous l'avez peut-être découvert et lu sur le magazine en ligne nerval.fr ici-même. Si ce n'est pas le cas, alors cette parution numérique tombe vraiment à pic car c'est un texte, ou plutôt un voyage, tellement fort qu'il serait dommage de passer à côté : Une épidémie, de Fabien Clouette.
Nous voici dans une ville sur la mer, une citadelle pas vraiment fantôme mais presque, peuplée par les survivants d'une épidémie, au sein desquels vit notre narrateur. Suivons ses pas. Écoutons les paroles qu'il noie dans son silence. Soufflons avec lui sur la poussière qui recouvre désormais les livres de la bibliothèque abandonnée. Errance, mise en quarantaine et solitude, écriture, maladie et amour : les images du présent dévasté et les souvenirs heureux se confondent dans la chaleur, derrière les murs de la citadelle, et se mélangent à la terre aride des quartiers désertés, aux cours intérieures autrefois animées, aux ruelles décorées de mosaïques qui racontent l'histoire de la ville — qui continuera d'écrire l'histoire ? —, aux boutiques désormais fermées, aux sculptures renversées par ce vent qui ne cesse pas. C'est un journal de bord qui ne dit pas son nom, c'est une description onirique d'une guerre entre la nature et l'homme — J’enlève mes vêtements. Nu, à la fenêtre, je contemple le quartier vide. Je me grise en Adam du nouveau siècle, dans une ville où la guerre n’aurait rien détruit de matériel. — c'est un cri d'amour silencieux — Les yeux de R. sont des verres à pied fendus. Cristaux figés entre deux pommettes parfaitement opaques, ils produisent plus de lumière que le soleil de l’après-midi. Mais quand le vin de la mélancolie verse son jus, le verre, sans se briser, laisse échapper des larmes d’or aux reflets rouges, des gouttes salées d’un alcool meurtrier. R. pleure la nuit sur son oreiller, cachant ses sanglots dans les hurlements du vent. — et c'est la mort qui plane dans le ciel, qui se cache dans tous les recoins de la ville, qui assèche tout, jusqu'au soleil même... — L’épidémie n’est pas finie, la citadelle est toujours malade.
À découvrir absolument.
RL
Une langue magnifique, à forte rémanence, d’une violence sans cesse contenue, et qui fait miroiter un réel précis, image archétype d’une ville sur la mer, avec des traversées oniriques. Deux personnages principaux, le narrateur et « R. », mais l’irruption d’un troisième, « le client » par lequel toute notion de réalité basculera. Il y a aussi, dans cette mise en quarantaine suite à épidémie, dont le dispositif rappelle le Aminadab de Blanchot, la découverte d’une bibliothèque et la présence constante de ces vieux livres qui contribuent eux aussi à la mise en abîme.
FB