Il conviendrait de considérer les histoires de la pensée comme on lit des
romans policiers. Cela vaut aussi des histoires de la pensée juridique. En
elles, se nouent des intrigues complexes, se jouent des vies et des destins,
s'organisent des traquenards et des libérations. On rencontre des assassins
et des victimes. Et des policiers. Des bons, des méchants. Des brutes, des
truands. Des justes, peut-être. Il y a des montages, des machinations. Les
pensées, même les plus pures et les plus juridiques, sont des actes intentionnels.
L'homicide involontaire est rare. On fabrique des théories, des métathéories
justificatrices comme on fabrique son alibi. La vérité est mise en
abîme. L'arme du crime est toujours le concept. Mais elle a pu être plus ou
moins bien préparée, aiguisée, effilée, et le coup porté plus ou moins efficacement
: ce qui se voit à la netteté et la profondeur des entailles pratiquées
sur le corps des doctrines, blessées ou supprimées. Il faut donc comprendre
les ressorts de l'énigme et procéder au démantèlement des montages qui
rendent incertaine la frontière qui sépare la vérité du «réel» et la vérité de la
«fiction». Car les pensées juridiques, pour dire la vérité du droit, s'accrochent
à des montages mythologiques qui sont autant de trésors de l'imagination.
Ce livre raconte l'une de ces histoires. Une histoire dans la pensée juridique
allemande, dans les pensées juridiques allemandes. Retracer un itinéraire
qui va de Savigny et l'École historique jusqu'à Georg Jellinek et donc du droit
privé au droit public, à la construction dogmatique de l'État dans l'Allemagne
du XIXe siècle, sur la base d'une exploration des imaginaires conceptuels
que sollicitent les juristes, de cela que l'on nomme la pensée juridique : telle
est ici l'ambition.