Alors que l'histoire des cultures est en cours de réécriture et ne peut plus être réduite à la chronique des avant-gardes occidentales, une notion demeure à l'abri des révisions critiques : primitivisme. Primitif est devenu, dans le dernier tiers du XIXe siècle, une obsession de la pensée occidentale. Quant à primitivisme, son usage est courant en histoire de l'art depuis un siècle. Il est donc plus que temps de mettre à nu ce que l'un et l'autre renferment de sous-entendus et de stéréotypes.
À l'origine de cet examen critique, deux constats. D'une part, le colonialisme s'avère la condition nécessaire du développement de l'ethnologie, de l'anthropologie et des musées : sans colonies, pas une de ces immenses collections africaines et océaniennes que les puissances européennes accumulent à Berlin, Bruxelles, Londres ou Paris - tout en dénigrant systématiquement la supposée grossièreté d'objets produits par des peuples que l'on prétend inférieurs. D'autre part, ces « sauvages » ne sont pas les seuls primitifs qui intéressent les sciences humaines du temps : il y a aussi les enfants, les fous, les préhistoriques et les rustiques. Tous ont en commun, pour des raisons diverses, d'incarner l'inverse de l'homme moderne, urbain, savant, industrialisé.
Il apparaît dès lors que les primitivismes, loin de n'être qu'affaires de formes et de styles, expriment en peintures, sculptures et gravures des protestations politiques contre le monde des révolutions industrielles et techniques; et qu'ils vont donc de pair avec des tentatives de réforme de ce quotidien moderne : pour la liberté des corps contre l'ordre moral bourgeois, pour la vie dans la nature loin des métropoles et des usines, pour la singularité de l'individu contre l'uniformité imposée par la société.