Voici donc une vie qui sut dire « non ». Un « non » d'ouverture au contraire
des refus qui signifient repli sur soi et fermeture aux autres. Autrement dit,
un « non » pour mieux inventer des « oui » qui ne seraient pas d'autorité ou
d'obéissance, mais de liberté et d'adhésion. Une vie où se donnent à voir,
avec la générosité désordonnée de leur bouillonnement créateur, ces trois décennies
des années 1950, 1960 et 1970 que les nouveaux conservatismes des trois décennies
suivantes ont tant insultées et caricaturées, dans une passion destructrice qui fut
à la mesure de la grande peur des possédants et des dominants.
Tout chemin se fait en marchant, et son origine ne garantit jamais le point
d'arrivée. Aussi la grandeur de Jean Baubérot est-elle d'avoir préservé, après s'être
débarrassé comme toute jeunesse de ses scories adolescentes, les fidélités
essentielles. D'être resté sur la même trace, celle ouverte par cette auto-institution
d'un gamin limougeaud, vif et curieux, qui, de Jean-Ernest, décide de devenir
Jean en même temps qu'il découvre que sa liberté peut agir, et, qui sait,
transformer le monde. On le découvre donc, durant une deuxième vie
apparemment officielle, vivant toujours dans cet écart où l'ironie tient à distance
les pièges de la reconnaissance et du pouvoir. Responsabilités universitaires,
directions d'équipes de recherche, cabinets ministériels, distinctions
républicaines... Rien n'y fait, même quand, habile ventriloque, il prête sa plume
d'historien des religions et de la laïcité à deux présidents de la République,
François Mitterrand, puis Jacques Chirac, Jean Baubérot est toujours ce jeune
homme qui, bravache, confiait à son Journal : « Je ne sais pas me taire ».