« Soulager la détresse alimentaire ! » : cette antienne pathétique que l’on croyait l’apanage des grandes organisations humanitaires internationales est devenue un appel à secourir ici et maintenant, dans notre société. La paupérisation d’une population croissante a suscité au cours des dernières décennies une mobilisation d’ampleur qui s’est traduite par des reconfigurations d’associations historiques (Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul, Secours catholique, Secours populaire...), des créations (Banques alimentaires, Restos du cœur...) et des initiatives multiples. C’est à l’ensemble du champ constitué par ces acteurs collectifs que cet ouvrage est consacré avec pour objectif d’en suivre, depuis les années 1930, les jeux d’accointance et de concurrence, les formes et les logiques d’approvisionnement et de recrutement, les usages et les registres de justification de l’action. En combinant la démarche de l’historien et les outils du sociologue, en croisant archives publiques et privées, documentations internes, presse et entretiens (bénévoles, responsables associatifs et politiques, fonctionnaires d’État, territoriaux et européens, cadres de la grande distribution), ce livre interroge les processus qui, des œuvres philanthropiques d’hier aux associations humanitaires contemporaines, ont affecté la nature du bénévolat, l’esprit et la forme du don ainsi que leur type de gouvernement. Il montre qu’en comparaison de la solidarité collective garantie par l’État sous forme de droits, l’aide d’urgence alimentaire a revêtu depuis toujours, par-delà la rhétorique humanitaire, une forme dégradée de sécurisation de l’existence. Des « miettes de solidarité » en quelque sorte, constituées par des denrées soustraites au marché et reliefs de nos tables solvables.