L'équipée de Varennes ne figure pas dans le canon des «journées
révolutionnaires» : ni foules anonymes en fureur, ni sang versé, ni exploits
individuels, ni vainqueurs, ni vaincus. À Varennes, un roi s'en est venu, un
roi s'en est allé, avant de retrouver une capitale sans voix et une Assemblée
nationale appliquée à gommer la portée de l'événement. Autant dire une
journée blanche.
Et pourtant, ce voyage apparemment sans conséquence fait basculer
l'histoire révolutionnaire : il éteint dans les esprits et les coeurs l'image
paternelle longtemps incarnée par Louis XVI ; met en scène le divorce
entre la royauté et la nation ; ouvre inopinément un espace inédit à
l'idée républicaine ; et, pour finir, projette la Révolution française dans
l'inconnu.
Le livre de Mona Ozouf reconstitue cette histoire à la fois énigmatique
et rebattue. Il en éclaire les zones obscures, pénètre les intentions des
acteurs et observe le démenti que leur inflige la fatalité ; avant d'interroger
les lendemains politiques d'une crise qui contraint les révolutionnaires à
«réviser» la Révolution. Réapparaissent ainsi des questions aujourd'hui
encore irrésolues : y a-t-il une politique distincte du roi et de la reine ? Peut-on
faire de Varennes l'origine de la Terreur ? Quelle figure de république
voit-on se dessiner dans le chaos des passions du jour ?
Ce moment tourmenté, écrit l'auteur, ouvre une vraie fracture dans
l'histoire de France. Il allonge déjà sur le théâtre national l'ombre tragique
de l'échafaud. Dix-huit mois avant la mort de Louis XVI, Varennes
consomme l'extinction de la royauté.