Objet d'une monumentale biographie par James Boswell, devenue un classique des lettres anglaises, Samuel Johnson (1709-1784) se voit ici consacrer par Manganelli une fulgurante « brève vie », que l'on pourrait à juste titre considérer comme le pendant, ou le négatif, de celle de Boswell. « Biographie synthétique », évocation d'une Londres fascinante et sordide, ce livre offre aussi la peinture de ce sans quoi Johnson n'eût été lui-même : son cercle d'amis et suiveurs, Richard Savage, écrivain malheureux, déréglé et scélérat, Topham Beauclerk, libertin joyeux et irresponsable, et Boswell lui-même, « calque littéraire, écrit Manganelli, fidèle jusqu'à l'hallucination, de l'existence et de la façon d'être du Docteur ». Mais le Johnson de Manganelli est autre chose encore : le premier héros d'une civilisation moderne, un monstre sacré, admiré pour son exigence, sa capacité de juger et de rassembler auditeurs et lecteurs par la seule vertu de sa bizarrerie et d'une conversation railleuse. Il est enfin et surtout un troublant alter ego de l'auteur d'Hilarotragoedia dans ses aspects les plus secrets : la mélancolie, l'hypocondrie, l'infélicité, auxquelles ne peuvent faire rempart que la lecture, l'exaltation de l'intelligence et la morale de la littérature.