Pour l'Angleterre du XVIIIe siècle, Samuel Johnson (1709-1784) est the Great Cham, le grand manitou des lettres. Suscitant en son temps l'attention et la crainte, il reste l'un des monuments de la critique littéraire anglaise, que discuteront encore Virginia Woolf ou T. S. Eliot.
Ses Vies des poètes anglais remontent au XVIIe siècle (Cowley, Dryden ou Milton) pour suivre le fil qui les mène à Swift, à Pope, puis aux contemporains immédiats de Johnson, comme Shenstone, Gray ou Akenside. Couvrant une vaste période, l'oeuvre de Johnson témoigne du fait que les Lumières ne furent pas l'apanage des seuls philosophes et des romanciers, mais animèrent aussi une myriade de poètes, célèbres ou tombés dans l'oubli.
Les Vies des poètes, dont il est ici donné une sélection inédite, ne sont pas uniquement des biographies : elles sont singulièrement attentives aux conditions historiques et sociales de la création poétique - notamment à la dépendance du poète à l'égard des mécènes - et constituent à ce titre un précieux document. Mais surtout elles révèlent une conception nouvelle de la lecture du poème : conservateur et nourri de culture ancienne, à la fois fidèle au classicisme et ouvert à l'originalité, Johnson invente une forme de critique aussi savante qu'empirique, une critique fondée sur les notions d'authenticité
et de plaisir, dans laquelle la dimension humaine, voire humaniste, passe au premier plan.