Eugène Dabit (1898-1936)
"Yvonne Lagache, qui avait couru depuis la station du Nord-Sud « Convention » s’arrêta, essoufflée, les joues rouges. Elle regarda la rue de l’Orme, une nouvelle rue, déserte, bordée de terrains vagues et d’immeubles couleur de fumée. Elle ouvrit son sac, en sortit un petit carnet, le feuilleta. « Georges Monteil, artiste-peintre, 22, rue de l’Orme... neuf heures. »
Elle fit quelques pas. « Je suis en retard, murmura-t-elle. C’est au diable, ce quartier ! Ah, je préfère Clignancourt. » Elle lut à haute voix les numéros des maisons. Soudain son cœur battit plus fort, une sorte d’angoisse lui serra la gorge. Elle était arrivée. Sans se soucier de son retard elle resta immobile devant la porte cochère, émue, inquiète, comme lorsqu’elle se présentait dans une nouvelle place ; cette fois-ci plus que de coutume ! Depuis quinze jours, elle chômait. Une voisine lui avait donné l’adresse de ce Georges Monteil qui cherchait un modèle. Elle s’était laissée tenter. Il y avait un brin de curiosité dans ce mouvement mais aussi le besoin pressant de gagner de l’argent car elle devait déjà une semaine au patron de l’Hôtel des Familles où elle logeait."
Yvonne est fleuriste. Mais l'hiver, elle est obligée de chômer ; aussi pour pouvoir vivre, elle accepte de poser pour le peintre Georges Monteil... C'est la première fois et elle ne s'attend pas à devoir s'exhiber nue...