En cherchant à décrire les causes et les
mécanismes de la violence de la transition
néolibérale dans l'Afrique du Sud contemporaine,
les Comaroff développent une anthropologie historique
de la «culture du capitalisme». Culture, en
effet, plutôt que dogme ou idéologie économique :
le néolibéralisme, depuis la fin de l'apartheid,
n'inspire pas seulement les économistes ou les
dirigeants, il imprègne l'univers symbolique des
jeunes sans emploi, des botanistes, des membres
des ONG ou des chercheurs en sciences sociales.
Les zombies, qui prolifèrent aujourd'hui dans le
nord du pays, ne sont à cet égard pas les signes
d'un retour aux «traditions» ou, pire, les restes
d'une supposée «irrationalité» sud-africaine. Ils
incarnent, au sens propre autant que figuré, l'une
des réponses régionales aux évidences tacites du
néolibéralisme, et notamment à ces idées très
répandues selon lesquelles on peut consommer
sans produire, s'enrichir sans effort, travailler sans
s'inscrire dans un lieu et vendre son corps organe
par organe. Les zombies sont les plus flexibles et
les moins protestataires des ouvriers ; leur disponibilité
représente le comble de la main-d'oeuvre en
régime néolibéral. Inscrits dans un imaginaire mondialisé
nourri de l'esthétique des films de Romero
et des clips de Michael Jackson, ils exemplifient
cette promesse d'accumulation presque magique
de la richesse qui séduit toujours plus d'habitants
de la planète. En ce sens, le cas sud-africain est un
révélateur inédit des économies de transition et, de
façon plus décisive encore, le miroir grossissant
d'une «culture du capitalisme» qui prospère dans
le monde entier, avec son lot d'inconséquences et
de superstitions. Qu'est-ce que le zombie, sinon
la contrepartie clandestine et ténébreuse de
l'euromillion ? Et les sociétés du Sud, sinon les
laboratoires privilégiés d'analyse de ce que sont
déjà, ou en passe de devenir, les pays du Nord ?