La beauté n'appartient sans doute à personne. Mais qu'en est-il des objets que les musées ont élevés au rang d'art et qui font leur orgueil ? Appartiennent-ils au lieu qui les a vus naître ? À la culture dont ils incarnent le génie ? Aux esthètes éclairés qui se les sont appropriés ? À l'humanité entière qui y accéderait par l'intermédiaire d'institutions dédiées à leur conservation ? Mais comment alors justifier que certains jouissent de ce patrimoine réputé universel quand d'autres en sont tenus éloignés ? Peut-être faut-il d'abord se demander comment ces objets sont concrètement parvenus jusqu'à nous et ce que leurs pérégrinations révèlent de notre histoire, de ses violences et asymétries, symboliques ou réelles. S'ils ont suscité là où ils sont arrivés des fécondations esthétiques inattendues, ils ont aussi creusé là où ils manquent des blessures encore vives.
Le buste de Néfertiti, l'Autel de Pergame, le retable de L'Agneau mystique, la Madone Sixtine, les têtes de bronze du Palais d'été de Pékin, L'Enseigne de Gersaint, la statue de la « reine Bangwa » du Cameroun, le Portrait d'Adele Bloch-Bauer, les « trésors royaux » du Bénin : à travers les déplacements - qui sont aussi des voyages fascinants - de ces oeuvres emblématiques, Bénédicte Savoy déploie une réflexion sur le désir et la domination, sur la rupture et la réparation, sur les émotions qu'éveille la beauté et la transformation de l'héritage qu'il nous importe de transmettre.