Platon déjà avait entrepris de penser le rapport de l'image au réel, ouvrant la voie à une
riche tradition spéculative : il le faisait, bien sûr, en philosophe. Ouvreur de chemins, arpenteur
de formes, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami - sans conteste un des artistes les
plus importants de ces trente dernières années - n'a cessé dans son domaine de se confronter
à cette problématique majeure.
À l'origine sans nul doute de cet attachement au réel : les productions pédagogiques du
jeune Kiarostami dans le cadre du département de cinéma du Kanun, qu'il fonde en 1970
sous le régime du Shah et où il signe son premier court métrage, le Pain et la rue. Suivront
une vingtaine de films de facture plutôt réaliste avant que l'Europe ne découvre Où est la
maison de mon ami ?, premier volet d'une trilogie qui, avec Et la vie continue... et Au travers
des oliviers, le hisse bientôt au rang international. Palme d'or pour le Goût de la cerise en 1997,
Abbas Kiarostami se tourne ensuite vers les technologies numériques naissantes et signe
deux films qui prouvent sa grande indépendance vis-à-vis du monde professionnel et son
désir de liberté jamais entamé : ABC Africa en 2001 et Ten en 2002, deux films où la question
du réel se voit reformulée par l'entremise d'un dispositif réduit à l'essentiel.
Ce volume réunit un ensemble de réflexions de spécialistes mondiaux de Kiarostami ; à la
faveur de thématiques qui nous sont apparues essentielles (matière, présence, durée, humanité,
paysage, jeu, désir), il entend poser la question prégnante du réel à l'oeuvre dans le travail
du cinéaste. Réel que les films mêmes de Kiarostami invitent à ne pas envisager de façon
trop étroite : il est certes en question dans la difficulté de l'artiste à en définir l'essence, mais
aussi dans sa difficulté à se dire, à laisser sa trace dans l'acte de création.