Contemporain de Smith, Ferguson propose, dans cet Essay on the History
of Civil Society paru en 1767, une vision du progrès et de la civilisation
qui tranche singulièrement avec la conception libérale des libertés et de la
société de marché. Loin de faire une apologie sans discernement de
l'individu autonome et rationnel qui rapporte tout à lui-même et ne
concède de restrictions à ses libertés que celles qui permettent à l'État
régalien d'assurer la stabilité des propriétés et la paix indispensable à
l'accomplissement de ses intérêts, Ferguson montre que la civilisation,
dans ses effets heureux, suppose un développement harmonieux des liens
sociaux qui rattachent l'homme-citoyen au bien commun et à la société
politique. Les excès de l'individualisme - aiguillonné par un intérêt que
rien ne vient contrer - et les formes d'abêtissement entrainées par l'excès
de la division du travail - qui métamorphose l'heureuse et inventive
complémentarité dans le travail en une forme toujours plus abstraite et
aliénante de dépendance - viennent contrebalancer la positivité du
mouvement de l'improvement. Isolé pour ne pas dire esseulé, l'individu
perd le sens de son implication politique dans le bien commun ; il risque
alors de devenir le témoin impuissant du grand retour aux despotismes.