Une biographie d'Adorno s'expose à l'objection qu'il n'appréciait
guère lui-même ce genre et émettait au contraire les plus expresses
réserves sur le fait d'exploiter des oeuvres littéraires ou philosophiques
pour parler de leurs auteurs. Assurément, Adorno a lu et
utilisé des biographies, à commencer par celle de Richard Wagner,
mais, s'agissant de sa propre personne, il exprimait l'espoir qu'on
ferait passer ses écrits avant les accidents de son existence. Il n'eut
de cesse de refuser, face à des compositions musicales ou à des textes
littéraires, qu'on y cherche du vécu, des intentions subjectives,
ou des affects de l'auteur.
Or, ses propres textes contiennent, à de nombreux endroits, des
propos autobiographiques, invitation à penser l'interdépendance
entre la teneur objective de l'oeuvre et son lieu historique - ce qu'il
appelait le champ de forces entre la situation historique du sujet-auteur,
sa vie et son oeuvre.
Cette maxime a guidé l'enquête présente : reconstruire le contexte
de vie d'Adorno dans son interaction avec d'autres - notamment
Kracauer, Benjamin, Mann, Horkheimer, Habermas... -, voilà
ce qu'entreprend Stefan Müller-Doohm. Grâce à un corpus de
sources comprenant les écrits d'Adorno, ses lettres publiées ou
conservées en archives, diverses notes et transcriptions de ses cours
et conférences, ainsi que ses entretiens avec des témoins contemporains.