Albert Camus & l'Inde
Il reste un mystère Camus. Et s'il était percé, enfin, grâce à cet essai de Sharad Chandra ? Oui, si L'Étranger devait se lire comme un cheminement vers l'épurement, la vacuité ; Le Mythe de Sisyphe comme un appel à l'Éveil ; La Peste comme l'aspiration à une « sainteté sans Dieu » ; Noces comme une nostalgie de l'unité originelle ; tous concepts et pratiques au coeur de l'hindouisme et du bouddhisme ?
On pourrait croire aux voeux pieux d'une passionnée, par ailleurs poétesse et traductrice en hindi de l'écrivain français. Mais Sharad Chandra nous révèle que le jeune Camus, élève de Jean Grenier - lui-même fin connaisseur de la civilisation indienne et traducteur du sanskrit -, avait lu, à Alger, la Bhagavad-Gîtâ, ce grand texte populaire qui résume toute la philosophie indienne. Elle relit ses Carnets, note la récurrence des renvois aux Védâs, ces hymnes sacrés de l'Inde pré-chrétienne, et à leurs commentaires, les Upanishads ; mais aussi au « bouddha Cakia-Mouni », aux « yogis du Thibet » ; à la méditation : « Ce qui me plaît, porter sa lucidité dans l'extase » ; et même à la syllabe sacrée des Hindous : « " Aum ", le maître-mot qui illuminerait toute chose. »
Le mérite de cet ouvrage est, outre de nous initier à la philosophie indienne, de décupler encore la portée de l'oeuvre camusienne, tout en rappelant aussi qu'elle s'est formée sur la terre algérienne et au contact des pensées de Saint-Augustin et de Plotin, elles-mêmes pétries d'influences orientales.