Un beau jour de 1855, un jeune médium, Victorien Sardou, futur auteur de l'impertinente Madame Sans-Gêne, apporte à un obscur professeur de Lyon, bachelier ès lettres et ès sciences, cinquante cahiers de messages qu'il a reçus de l'au-delà et lui demande d'en faire un livre. Le cartésien Léon Rivail commence par refuser ce qu'il considère comme un fatras. Mais voici que l'au-delà s'en mêle et lui ordonne de s'atteler à cette tâche, lui révélant par la même occasion qu'il fut jadis un druide, nommé Allan Kardec.
Quand l'ouvrage fut terminé, se posa le problème de sa publication. Tous les éditeurs parisiens le refusèrent, persuadés qu'il n'avait aucun avenir. Encouragé par les esprits, M. Rivail se résigna au compte d'auteur. Le succès du Livre des esprits (1857), signé Allan Kardec, est immédiat et fulgurant. Il sera total et durable : cinquante rééditions en cinquante ans. Et cela continue aujourd'hui de plus belle, depuis que l'heureux auteur est dans le domaine public.
Tous les milieux sont intéressés par ces textes qui donnent un coup de jeune au christianisme, tous depuis les ouvriers de Lyon et de Bordeaux jusqu'à certains médecins, avocats, artistes, hauts fonctionnaires comme M. Dufaux dont la fille est médium, jusqu'à des savants comme Camille Flammarion, jusqu'à Napoléon III qui envoie un fiacre banalisé à Kardec Pour le recevoir en privé aux Tuileries.
Au moment du brusque décès d'Allan Kardec en 1869, le nombre de ses adeptes était évalué à un million. son uvre a été continuée par deux disciples dignes de lui : Léon Denis et Gabriel Delanne. Ses livres, ignorés de l'Université et des Èglises (auxquelles il a ramené beaucoup de croyants) sont constamment réédités. Les revues et les groupes issus de sa pensée sont nombreux, vivants et tendent à se multiplier.
Autour d'Allan Kardec, Jean Prieur évoque quelques-uns de ses illustres contemporains, tous épris, comme Michelet, Lamartine, Renan, Zola, Théophile Gautier, George Sand et Victor Hugo, de progrès politique, spirituel et social. Illusions généreuses que le XXe siècle s'est chargé de démentir et que le XXIe siècle devra convertir en réalité.