Pourquoi parler d’art quand on est poète ? Pourquoi se réclamer de la « manière de Rembrandt et de Callot » quand on est soi-même en train d’inventer une forme de poésie inédite, le poème en prose, et un style pittoresque original, celui de Gaspard de la Nuit ? Aloysius Bertrand ne livre guère de réponse, théorise peu sa pratique et évite les grands discours – autant de silences à faire parler. Sa passion pour les arts graphiques, la peinture, mais aussi l’art de l’imprimerie et encore tous les arts populaires a nourri l’unique livre qu’il perfectionna au long de sa courte vie. Mais jamais il ne s’agit de transposition d’art : nulle imitation, pas même de description d’œuvres d’art. Bertrand fait usage et mention d’arts autres que le sien car il y cherche des valeurs : valeurs esthétiques, certes, mais surtout morales et peut-être politiques. Ainsi, dans l’« école flamande », il trouve une manière d’écrire l’histoire, une tendresse envers les humbles de toutes époques et même les marginaux les plus inquiétants. Son pittoresque n’est donc jamais gratuit. Il n’est ni ornemental ni virtuose. Loin de l’« Art pour l’art » auquel on l’a parfois assimilé, Bertrand donne du sens au pittoresque.