Dès mes dix ans, je faisais flèche de tout bois au
col de La Chapelle, dix-huitième arrondissement de
Paris. Un enfant de cet âge ne saurait sans doute
se voir accorder le statut de flâneur à part entière ;
peut-être que ses voyages au long cours l'entraînent
en vérité à quelques numéros de rue de chez lui ;
il se peut qu'il se rende chez le dentiste à deux
stations de métro ou d'autobus. Mais les passants,
les terrasses, mille entr'aperçus, les menus faits au
pied des immeubles ne sont-ils pas susceptibles de
lui raconter quelque chose et d'ancrer en lui le
sentiments des rues ?
Mes allées et venues quotidiennes, en vue d'un
but pratique, se mariaient à de plus longs moments
de promenade délibérés et sans autre objet apparent
que le plaisir éprouvé à parcourir des pans de la
ville. Les deux formes de déplacement se recoupaient,
se chevauchaient en leurs points de départ et
d'arrivée, ce qui supposait quelques temps morts.
Mais j'ai toujours tenu pour une chance d'avoir
été amené, très jeune, à découvrir, sans préjugé, de
la façon la plus brute qui soit, le donné de ces rues
populaires sans célébrité.