Entre une histoire de la prière en langue romane et la définition du sentiment religieux, les textes marials diffusés, autorisés ou tolérés par l'Église et présentés ou transposés en rime se prêtent à une enquête sur les formes poétiques de la dévotion, et plus précisément sur les enjeux de la poésie dévote. On conçoit que la version en français des textes religieux signifie l'élargissement de leur audience jusqu'à la sphère laïque de la société. Mais dès lors qu'ils sont présentés en rime, et d'autant qu'ils ne sont pas tous composés, loin s'en faut, par des clercs, ils viennent s'insérer dans l'histoire de notre poésie, dont ils constituent une catégorie.
En général, ces versions rimées compensent l'intelligence inaccessible ou perdue de la langue liturgique par l'apprêt rhétorique et, à tout le moins, par l'esthétique du rythme et la musicalité des mots. De plus, les mises en rime obéissent au principe de la variété, non seulement à cause de l'exigence constante d'innovation qui régit la poésie médiévale, mais encore, aux deux derniers siècles du Moyen Âge surtout, par un éventuel souci de personnalisation de l'ouvrage de commande - si, par exemple, la prière est plutôt à destination féminine.
Moyennant cette exigence esthétique et ce savoir-faire des auteurs, la prière poétique adressée à la Vierge décline l'ensemble des sentiments que peut susciter la dévotion mariale : célébration biographique, louange, contrition et repentir, angoisse du salut tempérée d'espérance. La variété du fonds littéraire s'explique par les aspects multiples du statut de la Vierge. Le mobile du poème confidentiel, par exemple, sera l'ascendant de la miséricorde sur la justice, puisque, suivant la démonstration de tant de Miracles, l'indulgence compréhensive de Notre-Dame et son sens du don parfait, le pardon, l'emportent le cas échéant sur la crainte et presque la terreur qu'inspire la juste rigueur de Dieu. La louange pourra célébrer la féminité pure de la Vierge, son intacte virginité. Ici ou là transparaît, en conséquence, la situation privilégiée de Notre-Dame par rapport à la dame que chante le mouvement courtois, tandis que les poètes, à l'instar des auteurs de chansons mariales, entendent convertir à la spiritualité le langage de la dilection.
La collection XI-XVII Littérature est publiée par le Groupe de recherche Littérature, rhétorique, idéologie, topique de l'université Lumière-Lyon 2.