C'est le matin.
Oh, si l'on savait déplier tout ce qu'il y a dans ce mot,
«matin».
Difficile de dire l'émerveillement contenu dans ce recommencement.
Chaque jour, savoir dire ce qui se passe, se voit, se sent,
s'écoute, devant une fenêtre ouverte. Prendre l'aube. S'appuyer
contre «l'épaule éblouissante» du soleil, pour voir.
Les branches du tilleul et l'entrée du chat roux, les pépiements
virevoltes, les voix. Ce que disent ces voix. Beau ou terrible,
mystérieusement tranquille ou implorant, ou sage.
Maryse Hache le peut. Le matin elle écrit. Sa chambre donne sur
le jardin.
Elle entend tout, et les bruits de la veille, et d'autres bruits
venus de l'autre bout du monde ou de pays lointains depuis
longtemps muets. Elle écrit tout, immobile sur son lit, un peu
comme sur une île. Un peu échouée, comme s'échouent les baleines
- c'est qu'elle a des griffures, dit-elle, griffures de corps, une
santé égratignée. Dans Passée par ici, elle explique ce qu'il faut
de batailles, et avec quelle intelligence.
Un peu échouée comme une baleine - ce qu'elle dit en riant. Et
cela donne un titre aux écrits du matin que vous lirez ici :
chaque jour une aube en baleine paysage.
S'échouer dans le paysage, c'est simple pour Maryse qui en a le
talent et le bonheur de vivre. Du moins jusqu'en octobre 2012, où
un jour elle s'en va - ces griffures qui déchirent et ce genre de
bataille qu'on ne peut pas gagner. Elle est «tuée par la mort»
- une expression qu'elle a tissée, et qu'on peut lire dans son
Abyssal cabaret.
Elle inventait des noms de fleurs.
Certains matins les voient s'ouvrir ou se faner, d'autres les
chantent un temps, ce que vivent les roses. Quelle chance : les
matins de Maryse ne se taisent pas, sont immortels d'être passés
juste sous sa fenêtre. Cette joie vivace qu'elle nous offre.