Les paysages du Cotentin occupent une place tout à fait centrale dans l'oeuvre romanesque de Jules Barbey d'Aurevilly. Pour l'écrivain natif de Saint-Sauveur-le-Vicomte, cet ancrage dans la terre natale ne procède pas d'une évidence première ou d'un engagement spontané, mais d'un choix résolu, mis au service de son projet littéraire. Dans la préface des oeuvres romanesques complètes de la Pléiade, Jacques Petit a parfaitement souligné le tournant opéré en ce sens, en 1846, lorsque Barbey travaille à la rédaction d'Une Vieille maîtresse. Il ne s'agit alors, pour l'écrivain, de produire un cadre seyant, où puissent se mouvoir les acteurs du récit, ni même, comme il l'écrira à Trébutien, de faire du Shakespeare dans un fossé du Cotentin. Sa démarche est réellement un retour conscient aux sources, une sorte d'acceptation, enfin assumée, de ses racines et de sa propre identité. Parisien, approchant de la quarantaine, Barbey éprouve alors la nécessité de raviver son inspiration ; il trouve ce souffle à l'intérieur de lui-même, dans le monde des impressions et des souvenirs enfantins. Projection mémorielle, le paysage des romans aurévilliens se définit donc d'emblée en tant qu'expression subjective. S'il alimente son travail de données précises et de croquis pris sur le vif, Barbey reste essentiellement un peintre d'atelier, dont le chevalet ni le « pinceau trempé dans la sanguine concentrée du souvenir », ne sortent à l'air libre.