La vie continue,
ce n'est plus la mienne
mais qu'importe.
Ma grand-mère, Béatrix Beck, faisait ses listes de courses
comme elle écrivait : avec poésie. Sur des bouts de carton
découpés qui lui rappelaient l'ardoise de son enfance.
Beck martelait ses mots avec son Bic, "la plus belle invention
de l'homme, disait-elle, après avoir marché sur la lune".
Enlever les lettres en trop pour n'en garder que le son :
le pain devenait sans le a l'arbre sylvestre, le pin. Béatrix
considérait les lettres comme des personnages : "Je jouais
avec les mots, encore plus amusants que les objets ; ils se
soudaient ensemble, pareils aux anneaux d'une chenille,
pour former d'autres mots vivants. J'accrochais l'une à
l'autre les deux notes do et ré, et j'obtenais la couleur
dorée" (Barny). Manuscrits arlequin, rapiécés d'expressions
entendues, de petites annonces truculentes, insolites et
autres. Textes taillés, coupés, assemblés, brodés, cousus
point par point. Béatrix revenait sans cesse sur son ouvrage
avec un fil invisible : celui du merveilleux, de l'inventivité
et de l'exigence.
À la fin de sa vie, Béatrix s'est réfugiée dans ce qu'elle
appelait son folklore intérieur, qui devient le nôtre aussi...
Béatrice Szapiro