Ami lecteur, ces quatre ou cinq dialogues vont-ils mettre un terme à mon oeuvre ? Celle-ci dépasse aujourd'hui une trentaine de volumes. Ma plume s'acharnera-t-elle à déborder un chiffre qui pourrait clore toute une vie - la mienne ? Je vais laisser faire cette plume, ce précieux outil. Car si je me penche sur ce tsunami charriant l'encre du rhapsode, je retrouve les lieux et les époques où l'énorme vague a été conçue.
Les textes ont été écrits, soit à Oran, soit à Rabat et Casablanca, au diapason des personnages qui les hantaient. Lorsque j'ai quitté ces rivages pour m'établir à Nice, ma plume a poursuivi son travail d'entrailles à la mode du Maghreb, puis elle a entamé les oeuvres d'un versant supplémentaire - oeuvres dont le décor a été Paris. A part Louis XIV et la Reine Christine (Greta Garbo) qui, tels des spectres, se tiraient d'une immense tapisserie surplombant mon lit, les personnages n'en étaient pas moins originaires du Maghreb : Pieds-noirs, Oraniens, depuis les Aurès jusqu'au Détroit - jusqu'aux ergs mouvants du désert. Un détail, cependant : à Paris, ma plume rencontrait bien moins de Parisiens que d'Africains-cette fois elle se laissait caresser par l'argot, surtout quant à l'accent ou le débit. Pour le fond, il s'agissait surtout de donner une vieille fessée à ceux qui avaient jadis comploté contre moi - autant les assassins patentés de l'époque coloniale que les jaloux littéraires, assoiffés des lauriers qui ne m'ont pourtant jamais coiffé. Cette petite revanche, ce knout miniature, parfaitement justifiés, me permettaient une migration qui, sur la Côte d'Azur, me donnait l'illusion de me trouver chez moi, en Afrique, dans mon royaume. J'y suis donc, et j'y reste...