Dans le temps que M. de La Salle faisait ses préparatifs pour son
dernier voyage de l'Amérique septentrionale, j'étais à Rouen, lieu de sa
naissance et de la mienne, et j'arrivais de l'armée, après 16 à 17 ans de service.
La réputation de M. de La Salle, la grandeur de son entreprise, la
curiosité naturelle aux hommes, la connaissance que j'avais de ses
parents, et même de ceux de la même ville qui devaient le suivre, m'engagèrent
facilement à me mettre de la partie, et j'y fus reçu en qualité de
volontaire. L'intrépide auteur de ces lignes, Henri Joutel, ne s'attendait
sûrement pas, en montant à bord du navire le Joli, à vivre la rocambolesque
aventure que par bonheur il nous relate dans son journal.
Partis avec pour projets de remonter le Mississipi depuis son delta
et de coloniser le territoire que Cavelier de La Salle avait auparavant traversé
et baptisé Louisiane, les aventuriers débarquèrent hélas beaucoup
trop loin, sur la côte de l'actuel Texas. L'expédition tourna vite court, les
navires furent perdus et La Salle assassiné.
Henri Joutel n'eut plus dès lors d'autre alternative que de tenter de
rejoindre Québec pour revenir en France. Au cours de ce voyage à travers le
continent Nord-Américain il tint quotidiennement ce journal. Celui-ci, parfois
même avec humour, relate les multiples tourments endurés pour survivre
et se déplacer, mais aussi ses rencontres avec environ 80 tribus
d'Indiens qu'il fut souvent le premier Européen à approcher. Curieux de
tout, bienveillant et sans a priori, son témoignage est également de grande
valeur sur la faune, la flore, les paysages, sur ce qu'était la vie quotidienne
concrète d'un "explorateur", mais aussi sur la vie sociale, les cérémonies, les
guerres incessantes ou les langues parlées de nations sauvages pour la plupart
aujourd'hui disparues.
Sur les 288 personnes qui tentèrent l'aventure, seules 6, dont
Joutel, purent regagner la France.