L'oeuvre de l'américain Christopher Lasch (1932-1994) gagne en lucidité à mesure que se confirment ses intuitions sur l'idée de Progrès. Un effondrement successif de cette croyance en un avenir toujours plus radieux, utopie initiée par les libéraux écossais, avait fait s'interroger l'historien sur la cécité de ses contemporains. Les évidences les plus massives, s'étonnait-il, auraient dû les conduire à abandonner cette chimère dès les premiers vacillements.
Lasch a ainsi rédigé une oeuvre totale. Du surgissement des gilets jaunes à l'élection de Donald Trump, des mouvements féministes aux manifestations antiracistes, l'américain anticipe une quantité de mécanismes socio-politiques majeurs des dernières décennies. En puisant notamment à la source de ses racines familiales et du passé égalitaire méconnu des États-Unis, le critique social parvient à bâtir ce qu'il nomme « une sensibilité populiste », la meilleure façon de tourner la page du capitalisme.
L'ouvrage présent, nourri par des articles de l'historien inédits en français, met à portée une oeuvre dense et complexe. Avec un style clair et passionné, Laurent Ottavi retrace les échecs imprévus de cette idéologie et en dévoile les fractures inédites, la plus flagrante étant celle entre les peuples et leurs élites. Dans cet essai majeur sur la pensée de l'historien américain, le projet laschien se dessine en creux : retrouver des limites, cultiver la vie intérieure et la vie publique, nourrir les liens de fidélité, de solidarité, de transmission, de courage et d'indépendance.